Le culte de la Liberté

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mercredi 1 juin 2016

La dictature des serviteurs


Un service public efficace est un de ces petits privilèges de la vie d’une société moderne. Il suffit d’avoir vécu sous d’autres horizons où un tel service est largement manquant pour s’en convaincre. Ce service est dans l’intérêt du public. Parfois, c’est un service très humble, comme le travail du ramassage des ordures, parfois il est un des plus grands honneurs d’un Etat, comme le service de ceux et de celles que nous nommons les ministres, ce qui n’est que le mot serviteurs en Latin. Mais dans tous les cas, il est – il doit être – un service rendu au peuple et rétribué par le peuple.

Lorsqu’on travaille pour le service public, on s’engage à servir le public. Un tel travail donne certains avantages personnels – notamment un travail stable et un revenu honnête – qui ne doivent pas faire perdre de vue la différence fondamentale entre le service public et les entreprises du privé, dont le but n’est autre que d’enrichir leurs propriétaires, qu’ils soient des personnes privées ou un actionnariat. On ne rend pas un service aux autres, du moins, ce n’est pas la priorité, mais on se sert soi-même.

Nos temps modernes nous offrent plus qu’assez d’exemples de la vérité de cela, des banksters [1] aux profiteurs nommés dans les “Panama papers”, des entreprises qui réussissent à introduire des législations qui leur évitent l’impôt jusqu’aux employeurs véreux qui embauchent des ouvriers sans leur payer leur dû. Les politiciens qui se sont inféodés à ces voleurs méritent amplement notre mépris. On ne devrait pas, plus, voter pour eux. Le problème est, bien sûr, que dans ce cas on ne sait plus très bien pour qui encore voter …
Nous voyons depuis un certain temps l’invasion de ce même fléau dans le service public. Un changement subtil – ou peut-être pas si subtil que cela ! – s’est opéré : au lieu que le service public est un service dû et rendu au public, il est devenu dans la pensée de certains, un  levier du pouvoir à exercer sur le public. Au lieu de servir le public, leur seul objectif semble être devenu le self-service. De gérants des biens communs mis à leur disposition, ils sont devenus les banksters du service public. Le service public est devenu leur propriété. Sous une apparence d’intérêt public, leur seul intérêt est leur propre agenda et leurs propres avantages. Le résultat est le même qu’avec les banksters : ils nous volent au profit d’eux-mêmes, ou, le plus souvent – et c’est tragique – au profit de leurs commanditaires et manipulateurs. Ils nous volent le service qu’ils nous doivent. Et non contents de cela, ils s’approprient les moyens du service public comme si tout leur appartient, empêchant quiconque n’est pas d’accord avec eux de travailler pour servir le public.

Ce sont toujours les mêmes qui détournent ainsi le bien public. François de Closets l’avait dénoncé en son temps dans son livre Toujours Plus ! paru en 1982 aux éditions Grasset. Il y affirmait que ce sont les corporations qui ont la plus forte capacité de nuisance qui s’assurent l’essentiel des avantages. “Ce sont toujours les mieux lotis qui font grève. Les gouvernements cherchent la paix sociale à tout prix, ce qui revient à donner le plus d’avantages à ceux qui sont les plus menaçants. C’est consternant car c’est encore la France du toujours plus !” [2] Il est évident que le même constat doit être fait dans notre Belgique francophone. Ceux qui peuvent paralyser le pays ont un pouvoir démesuré, et ils ne se gênent pas de s’en servir. Derrière la rhétorique et les banderoles, c’est toujours le même langage et le même refrain : Toujours plus de privilèges, de droits acquis, et toujours moins de service. Parmi les victimes – vous l’aviez déjà remarqué – : les moins bien lotis de notre société : ceux et celles qui dépendent du service public parce que leurs moyens ne leur permettent pas de s’en affranchir.

Et s’ils n’obtiennent pas gain de cause ? Alors ils sont prêts à casser le service public jusqu’à prétendre chasser ce gouvernement (de droite ou de gauche, peu leur importe) incapable qui ose leur demander de … travailler.

C’est la dictature des serviteurs. Et comme toutes les dictatures – il y en a malheureusement d’autres dans notre société – elle conduira notre monde dans l’abîme.

Mais bon, ne pleurons pas. Bientôt la trêve des confiseurs, pardon, des footballeurs. La bière coulera à flots et l’unique cri qui ralliera les foules sera : “Goal !” Du pain et des jeux. Qui pourra s’en plaindre ?


A tout hasard : Y a-t-il un autre modèle ? Si à droite comme à gauche prévaut le modèle des banksters dictateurs, peut-on encore espérer ? Et si seul le Christ donnait un modèle alternatif viable ? Serait-ce la raison qu’il est haï et méprisé encore plus que tout autre ? Le vieux cri hurlé devant Pilate est toujours d’une modernité époustouflante : “Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous !” Et au Christ de répondre : “Si tu connaissais, toi aussi, en ce jour, ce qui te donnerait la paix ! Mais maintenant c’est caché à tes yeux.”


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