Le culte de la Liberté

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mardi 18 avril 2017

L'avortement sans langue de bois

Voici la deuxième partie de l'argumentaire présenté par Stéphane Mercier. Une troisième et dernière partie suivra.


Illégal ou “seulement” immoral ?
Maintenant, on entend certains dire par exemple qu’à titre personnel, ils réprouvent l’avortement comme étant immoral, mais qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de le rendre illégal. Raisonnement d’une étonnante absurdité, quand on prend la peine de s’y arrêter. On peut même aller assez vite en besogne sur ce point. Imaginez maintenant que le même individu déclare qu’à titre personnel, il trouve que le viol est vraiment immoral, mais que, pour “respecter la liberté de chacun” (sauf peut-être de la victime...), il ne faut pas pour autant le rendre illégal. Absurde, évidemment ! Eh bien, si l’avortement est un meurtre, comme on l’a dit, n’est-il pas encore plus grave que le viol ? Le viol est immoral, et heureusement il est aussi illégal. L’avortement, qui est encore plus immoral [1], ne devrait-il pas, à plus forte raison encore, être illégal lui aussi ?
Comprenez bien le raisonnement qui est à l’œuvre ici, car il faut se méfier des inférences indues. Tout ce qui est immoral ne doit pas être illégal pour autant. Il y a une foule de choses qui sont immorales, mais qui n’ont pas à être envisagées par le législateur pour être qualifiées d’illégales. Si j’ai passé ma journée à jouer à Total War: Warhammer, et qu’ensuite, je prétends à mes collègues que je suis fatigué parce que j’ai vraiment beaucoup travaillé, et que je leur dis cela pour avoir l’air d’un bosseur et susciter leur compassion ou leur empathie, j’agis clairement de façon immorale. Mais je ne pense pas que cela soit illégal pour autant, ni d’ailleurs que le législateur ait à s’occuper d’alourdir le code pénal avec ce genre de considérations.
Mais vous voyez bien qu’il s’agit de tout autre chose quand on parle de l’avortement, comme le suggère le rapprochement avec le viol : le viol est immoral, et c’est un acte si détestable qu’il faut absolument le prohiber; il est donc indispensable, du point de vue juridique, de qualifier cet acte comme punissable. Le meurtre délibéré d’un innocent est une chose encore plus condamnable moralement, et doit donc aussi, a fortiori, être condamné du point de vue du droit par le législateur. Je me répète, mais il est essentiel d’y insister.
Pensons aussi un peu à ce que doit être le droit, pour mériter ce nom. Le droit a pour raison d’être et pour but de protéger le plus faible contre l’arbitraire du plus fort. Le droit et la loi sont un rempart contre la raison du plus fort, l’oppression du despote ou la menace du caïd. Voilà pourquoi il y a des lois contre le vol et contre le viol, voilà pourquoi il y en a contre l’esclavage et la traite humaine. Voilà pourquoi il y en a contre le meurtre. Ou plutôt, voilà comment il devrait y en avoir contre le meurtre sous toutes ses formes. Car le vrai scandale est de voir que le meurtre est permis chez nous : avec l’avortement, le meurtre est même remboursé par la mutuelle alors que le simple vol à la tire est condamné. Le vol à la tire doit être condamné, évidemment. Mais à plus forte raison le meurtre ! Or que se passe-t-il ? Pour le meurtre, c’est permis en fonction du calendrier : le petit n’a pas encore atteint douze semaines ? Pas de chance pour lui, son assassinat et légal en Belgique. Et remboursable si maman a payé sa cotisation à la mutuelle. A partir de treize semaines, le petit commence à bénéficier d’une protection juridique. Mais passez la frontière des Pays-Bas, et sa protection juridique s’effondre : le meurtre est légal jusqu’à vingt-deux semaines. Et si, à vingt-trois semaines, vous pensez que le petit humain est tiré d’affaire, détrompez-vous : il est certes enfin protégé aux Pays-Bas et en Belgique, mais il suffit de prendre l’Eurostar et d’aller en Angleterre, où la protection ne commence qu’au-delà de la vingt-quatrième semaine.
On pourrait continuer notre petit voyage macabre, mais c’est assez pour signifier la folie monstrueuse de toute l’affaire. Vous êtes terriblement vulnérable à cinq ans, trois mois après votre naissance, durant le sixième mois de grossesse de votre mère, et, en réalité, dès le tout premier instant de cette grossesse, lorsque vos premières cellules travaillent d’après votre code génétique unique et flambant neuf à développer celui que vous êtes aujourd’hui. C’est cette vulnérabilité qui doit être protégée, depuis le premier instant. Pas le deuxième instant, le troisième, le dix-millième ou celui que fixe arbitrairement une législation aberrante.
Enfin, en l’espèce, voulons-nous ressembler à Ponce Pilate ? Vous connaissez l’histoire, mais il faut peut-être la remettre en mémoire : il représentait l’autorité romaine dans les territoires occupés par l’Empire en Judée; quand on lui demande de faire crucifier Jésus, il commence par dire qu’il n’est pas d’accord, parce qu’il se rend très bien compte que ceux qui l’ont amené à lui cherchent à faire tuer un innocent, et que c’est immoral. Mais il voit que les ennemis de Jésus insistent; et lui-même ne veut pas se mouiller – ou plutôt si, mais seulement au sens propre, puisqu’il se fait apporter une bassine d’eau, y plonge les mains et déclare : “Je m’en lave les mains, je suis innocent du sang de ce juste.” Et, alors qu’il a le pouvoir de s’opposer à ce meurtre, il laisse les mains libres à ceux qui veulent le perpétrer. Est-il innocent ? Non, parce qu’il refuse d’assumer la responsabilité morale pour laquelle il devrait se battre. Cette attitude porte un nom : dans le meilleur des cas, c’est de la non-assistance à personne en danger. Ce qui permet au mal et au crime de prospérer, comme on dit, ce sont les honnêtes gens qui préfèrent se voiler la face, ou qui, face à la prolifération du mal, demeurent inactifs. Ne pas dénoncer un mal, ne pas s’opposer à lui, c’est d’une certaine manière lui prêter son concours, et se rendre complice. C’est voir le danger qui guette une personne, et ne pas lui porter secours; et, comme le dit Sénèque, qui non velat peccare, cum possit, jubet, “ne pas empêcher de commettre le mal, quand on le peut, c’est y encourager.” (Troyennes, 300)
Imaginez encore quelqu’un qui dirait : “Oui, c’est vrai qu’à titre personnel, je refuse l’esclavage; mais que les autres décident comment ils veulent, je suis pour le droit à choisir, et je ne tiens pas à imposer à autrui ma vision négative de l’esclavage.” Ridicule, encore une fois. Il en va de même pour l’avortement : il est parfaitement absurde de dire que l’on est personnellement opposé à l’esclavage, au viol et à l’avortement, mais que l’on tient à laisser à chacun le droit de choisir s’il veut prendre un esclave, violer sa voisine, ou tuer l’enfant dans le ventre de sa mère.
Je voudrais encore insister. A vrai dire, étant donné la société dans laquelle nous vivons et les choix de vie que nous faisons tous ou que nous allons faire, je crois même que c’est l’un des sujets les plus importants de toutes nos études, un sujet qui engage profondément notre humanité.

Retour sur de possibles contre-arguments
J’ai longuement développe un argument simple qui établit de manière très claire et directe que l’avortement est le meurtre d’un être humain, d’une personne innocente. On pourrait encore regarder les choses en considérant non pas l’argument directement, mais les points à partir desquels ceux qui défendent un prétendu “droit” à l’avortement cherchent à faire valoir leurs vues en sens contraire.
Pendant un certain temps, le discours à la mode tendait à dire qu’en fait, l’embryon n’est pas un être humain, et le fœtus non plus, pendant une durée plus ou moins longue qui dépend de quel côté de la frontière vous vous trouvez. Il est clair, d’après ce qui précède, que ce discours ne tient vraiment pas la route : je le répète, le processus de développement est bien un processus continu et ne saute pas des paliers qualitatifs par magie; et le processus de développement se poursuit bien au-delà du stade fœtal, puisqu’on l’observe chez le nourrisson, l’enfant, etc. D’ailleurs, les législations contradictoires relevées précédemment en fournissent une démonstration par l’absurde : s’il y avait un saut qualitatif, un moment clair où apparaît une personne là où il n’y avait auparavant qu’un tas de cellules, on se demande bien pourquoi vous n’êtes pas légalement humain en Angleterre et en Belgique au même moment. Sauf à considérer qu’un belge est plus précoce qu’un anglais...
Du coup, quand on réfléchit un peu et que l’on s’aperçoit qu’il est décidément très embarrassant de nier qu’un embryon ou un fœtus soit une personne humaine, il ne reste que deux possibilités en faveur d’un prétendu “droit” à l’avortement. Vous pourriez par exemple contester la prémisse morale, celle qui disait qu’il est toujours moralement mauvais de tuer délibérément une personne innocente. Vous pourriez dire — interdiction de rire, car certains le disent en effet, pas directement, mais ils le disent sans même s’en rendre compte — qu’il ne faut pas exagérer, et que, parfois, on peut s’autoriser une petite exception, qu’il ne faut jamais dire jamais, ce genre de choses. Cela revient à prétendre qu’il n’y a pas de règles qui vaillent universellement, et qu’il faudrait se contenter de dire non pas qu’“il est toujours moralement mauvais, etc.”, mais seulement que “de façon générale, nous pensons aujourd’hui en Europe occidentale qu’il est moralement mauvais, etc.” C’est une manière de nier qu’il y ait des principes absolus, c’est l’affirmation d’un relativisme généralisé. (Remarquez au passage la contradiction logique que cela implique : “il est absolument vrai qu’il n’y a pas de principes absolus”, c’est comme “il est interdit d’interdire.”) En général, les gens qui tiennent ce type d’argument refusent d’en accepter les conséquences. Si on leur dit qu’alors il n’est sans doute pas permis non plus de dire qu’un génocide est moralement mauvais, mais que c’est seulement mauvais de notre point aujourd’hui en Europe occidental, ils vont se récrier.
Je vais prendre un petit exemple pour que ce soit parfaitement clair. S’il vient à quelqu’un l’idée de rejeter la première prémisse et de dire que c’est trop ambitieux d’affirmer quelque chose d’aussi universel que “Il est toujours moralement mauvais, etc.”, mais qu’une chose n’est moralement bonne ou mauvaise qu’en contexte; que cette personne se rende donc à une réunion de survivants de l’Holocauste et leur dise : “Vous savez, on ne peut pas dire qu’un génocide est toujours moralement mauvais, mais seulement que c’est quelque chose que nous réprouvons, nous, aujourd’hui, en Europe occidentale au XXIe siècle; donc il vaut mieux ne pas se prononcer sur ce qui n’était peut-être pas si mauvais dans un autre contexte.” On imagine le tableau. Il faut donc l’affirmer avec force : la première prémisse est aussi inattaquable que la seconde; et on est parfaitement fondé à énoncer des jugements de valeur à portée universelle. Cela ne signifie évidemment pas que tous nos jugements de valeur ont une portée universelle. Mais cela signifie que certains d’entre eux au moins ont cette portée : le génocide, c’est mal, un point c’est tout, toujours et partout. Le viol aussi. L’avortement de même, comme tout autre meurtre délibéré d’une personne innocente. Il n’y a pas de circonstance où un petit meurtre est permis, ou un viol occasionnel, ou un seul génocide.
Pour ce qui est de critiquer la conclusion légale que l’on tire de la morale, on a déjà suffisamment montré sa complète inanité, et ce n’est pas nécessaire d’y revenir.


[1] En tant que Protestants, nous sommes peu à l’aise d’hiérarchiser les péchés. Mais je reprends ici le commentaire suivant : “[L]e droit belge sanctionne plus sévèrement le meurtre et l’assassinat (art. 393-397 du Code pénal) que le viol (art. 375). Pourquoi les autorités de l’UCLouvain n’acceptent pas cette comparaison ? Elle est logique si l’on a pour fondement du raisonnement l’opinion apparemment autorisée d’affirmer l’embryon est un être humain.” Source : https://www.ultramontain.be/2017/04/12/des-%C3%A9tudiants-s-%C3%A9tonnent-une-police-de-la-pens%C3%A9e-%C3%A0-l-%C3%A9gard-monsieur-st%C3%A9phane-mercier/

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