Le culte de la Liberté

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mercredi 22 mars 2017

Questionner l’avortement : comment ose-t-il ?

Tempête à l’UCL [1] sur un prof qui a osé partager avec ses étudiants une réflexion sur l’avortement. L’université prépare une réaction, rappelant toutefois que sa position sur l’avortement est claire : le droit à l’avortement est inscrit dans le droit belge et ces notes de cours sont en contradiction avec les valeurs portées par l’université. Le fait de véhiculer des positions contraires à ces “valeurs” dans le cadre d’un enseignement est inacceptable. Pour une université catholique, quel courage remarquable ! Et quelle belle démonstration de démocratie ! Inacceptable. On mettra donc à l’entrée de Louvain-la-Neuve : Attention, à l'UCL seule la pensée unique est acceptable ! Sur le sceau de l’université il est écrit : sedes sapientiae. Le siège de la sagesse. Voici qu’un cours d’amour de la sagesse (= philosophie) devient inacceptable au siège de la sagesse !

C’est que le petit monde de ceux qui croient avoir le droit d’imposer leur pensée unique en matière d’avortement est vraiment en émoi. Qu’en entende ce genre de propos dans une Eglise, c’est déjà intolérable. Mais qu’on ose les propager dans le cadre d’une université, cela devrait être sanctionné. En plus, son texte n’admet que d’un seul point de vue : c’est démagogique.

Plus je lis les réactions qu’il provoque, plus je me dis que peu de gens ont pris la peine de lire son texte [2]. Et encore moins seront capables de le réfuter de manière crédible.

Deux citations du début du cours incriminé permettent de situer le débat. L’auteur écrit : “… Cicéron remarque qu’en philosophie comme dans un procès au tribunal, le bon juge est celui qui prend sa décision, mûrement réfléchie, après avoir entendu ce que les uns et les autres avaient à dire, sous peine de faire preuve de partialité. Est impartial, en revanche, celui qui accepte d’alimenter sa propre réflexion en accordant aux différentes parties en présence le droit à faire valoir leur point de vue.” L’impartialité implique que l’on écoute les deux (ou plus) opinions. Il n’est pas difficile de prouver que dans nos universités, comme dans les média, une seule opinion a droit de cité. Il y a donc partialité à grande échelle.

La deuxième citation : “Quand je dis que l’on n’argumente pas philosophiquement pour remporter la mise dans un débat, cela ne veut pas dire que l’argumentaire serait neutre. Il n’y a pas d’argument “neutre” : un argument s’efforce d’établir quelque chose; le tout est de peser l’objectivité ainsi que la valeur démonstrative de cet argument qui soutient une conclusion. Il est tout à fait permis de discuter, je le redis : la philosophie sert précisément à cela. Mais il n’est pas de discussion sérieuse qui fasse l’impasse sur la progression logique de l’exposé et sur le caractère raisonné de ce qui est développé : ce sont les fous et les enfants mal élevés qui se bouchent les oreilles et qui se mettent à crier quand ils entendent quelque chose qui leur déplaît ou les irrite.” J’ai entendu à la télévision le reproche que le cours n’était ni neutre, ni ouvert sur une autre opinion. Mais, dans ce domaine précis, comme dans un certain nombre d’autres (je vous laisse le soin de les découvrir), y a-t-il vraiment des opinions neutres ? Ce que nous avons habitude de lire et d’entendre l’est-il donc ? Or, comme le dit l’auteur, les fous et les enfants mal élevés se bouchent les oreilles et se mettent à crier quand ils entendent quelque chose qui leur déplaît ou les irrite.

Mais peut-on vraiment faire l’impasse sur une réflexion saine et équilibrée dans un domaine aussi important ? Il y va de la vie et de la mort, tout de même ! Ne serait-il pas temps de réfléchir sur la justesse et la bienséance de ce changement de la loi intervenu en 1990 ? Pour rappel, en voici les termes exacts :
La loi n’autorise pas l’avortement mais elle suspend les poursuites légales si un certain nombre de conditions sont remplies.
Article 1er : l’article 348 du Code pénal est remplacé par la disposition suivante : "celui qui, par aliments, breuvages, médicaments ou par un moyen quelconque, aura à dessein fait avorter une femme qui n’y a pas consenti, sera puni de réclusion. Si les moyens employés ont manqué leur effet, l’article 52 sera appliqué."
Article 2 : L’article 350 du même Code est remplacé par la disposition suivante : "celui qui, par aliments, breuvages, médicaments ou par tout autre moyen aura fait avorter une femme qui y a consenti, sera condamné à un emprisonnement de trois mois à un an et à une amende de cent francs à cinq cents francs. Toutefois, il n’y aura pas d’infraction, lorsque la femme enceinte, que son état place en situation de détresse, a demandé à un médecin d’interrompre sa grossesse et que cette interruption est pratiquée dans certaines conditions, parmi lesquelles :
- l’interruption est pratiquée avant la fin de la douzième semaine suivant la conception;
- elle se pratique dans des centres où elle recevra informations et soutien psychologique
- Le médecin doit informer la patiente des risques et des autres solutions comme l’adoption.
La permission des parents n’apparaît pas dans la loi pour une demande formulée par une mineure. La jurisprudence reconnaît plutôt, en vertu de l’égalité devant la loi, le droit à la jeune fille mineure de poser un acte responsable concernant sa santé.
Par ailleurs, il a été précisé que les membres du personnel médical et infirmier avaient le droit de refuser de pratiquer une interruption de grossesse, gardant ainsi leur totale liberté de conscience. [3]
Est-ce que cette loi est respectée ? – je pense notamment à ces deux dispositions : la situation de détresse et l’information (neutre ?) sur les risques et les autres solutions. L’avortement est devenu un droit, même si la loi se refuse à ce vocabulaire. Et ce “droit” serait-il fermé à toute discussion ultérieure ? Voire à tout retour en arrière si une majorité parlementaire peut être trouvée pour ce faire ? Cela semble très improbable pour le moment. La situation semble verrouillée et bétonnée. Mais pourquoi alors tant d’agitation devant les propos pertinents d’un professeur ? Parce que, au plus profond de soi, on connaît le côté infondé de la législation et des pratiques qui vont au-delà de cette législation ?
L’auteur n’a en rien abordé cette question d’un point de vue religieux ou théologique. Il a raisonné en philosophe. Est-ce là la raison derrière la virulence de certains, parce qu’ils avaient cru que toute opposition à l’avortement se limitait à quelques religieux arriérés ? Or, voilà un raisonnement non religieux rondement mené pour démentir le bien-fondé de l’avortement. Il y a donc de quoi faire trembler les esprits libres ?

Libres ? Justement. Pas si libres que cela. Dans le fil des réactions de l’article du Soir, je lisais ceci : “… le rôle d’un prof de philo doit rester neutre et sans influence. L’IVG doit rester un droit inaliénable et doit se prendre en âme et conscience …” Cela fait beaucoup de “doit” ! Comment peut-on décider en faveur d’un avortement ‘en âme et conscience’ si on n’a jamais réellement pris en compte les droits à la vie de ce nouvel être humain, qui ne fait pas partie du corps de la femme, mais qui se trouve dans le corps de cette femme et, dans la plupart des cas, de manière consentie par elle ? Comment l’avortement peut-il rester un droit inaliénable si, pour commencer, il n’est déjà pas un droit eu égard de la loi ? Et les erreurs, sont-elles par définition inaliénables ? Les lois nazies contre les Juifs, étaient-elles inaliénables ? Le rôle d’un prof doit rester sans influence ? Dans ce cas, abolissons la profession. Nous voulons justement qu’un prof ait de l’influence. Mais nous voulons que cette influence soit pour le bien et donc, bien fondé. L’auteur incriminé ne peut qu’être félicité parce que c’est exactement ce qu’il s’est efforcé d’être.

Merci donc à Stéphane Mercier !