Un service public efficace est un de ces petits privilèges
de la vie d’une société moderne. Il suffit d’avoir vécu sous d’autres horizons
où un tel service est largement manquant pour s’en convaincre. Ce service est
dans l’intérêt du public. Parfois, c’est un service très humble, comme le
travail du ramassage des ordures, parfois il est un des plus grands honneurs d’un
Etat, comme le service de ceux et de celles que nous nommons les ministres, ce qui n’est que le mot
serviteurs en Latin. Mais dans tous les cas, il est – il doit être – un service
rendu au peuple et rétribué par le peuple.
Lorsqu’on travaille pour le service public, on s’engage à
servir le public. Un tel travail donne certains avantages personnels – notamment
un travail stable et un revenu honnête – qui ne doivent pas faire perdre de vue
la différence fondamentale entre le service public et les entreprises du privé,
dont le but n’est autre que d’enrichir leurs propriétaires, qu’ils soient des
personnes privées ou un actionnariat. On ne rend pas un service aux autres, du
moins, ce n’est pas la priorité, mais on se sert soi-même.
Nos temps modernes nous offrent plus qu’assez d’exemples de
la vérité de cela, des banksters [1] aux
profiteurs nommés dans les “Panama papers”, des entreprises qui réussissent à
introduire des législations qui leur évitent l’impôt jusqu’aux employeurs
véreux qui embauchent des ouvriers sans leur payer leur dû. Les politiciens qui
se sont inféodés à ces voleurs méritent amplement notre mépris. On ne devrait
pas, plus, voter pour eux. Le problème est, bien sûr, que dans ce cas on ne
sait plus très bien pour qui encore voter …
Nous voyons depuis un certain temps l’invasion de ce même
fléau dans le service public. Un changement subtil – ou peut-être pas si subtil
que cela ! – s’est opéré : au lieu que le service public est un
service dû et rendu au public, il est devenu dans la pensée de certains,
un levier du pouvoir à exercer sur le
public. Au lieu de servir le public, leur seul objectif semble être devenu le
self-service. De gérants des biens communs mis à leur disposition, ils sont
devenus les banksters du service public. Le service public est devenu leur
propriété. Sous une apparence d’intérêt public, leur seul intérêt est leur
propre agenda et leurs propres avantages. Le résultat est le même qu’avec les
banksters : ils nous volent au profit d’eux-mêmes, ou, le plus souvent –
et c’est tragique – au profit de leurs commanditaires et manipulateurs. Ils
nous volent le service qu’ils nous doivent. Et non contents de cela, ils s’approprient
les moyens du service public comme si tout leur appartient, empêchant quiconque
n’est pas d’accord avec eux de travailler pour servir le public.
Ce sont toujours les mêmes qui détournent ainsi le bien
public. François de Closets l’avait dénoncé en son temps dans son livre Toujours Plus ! paru en 1982 aux
éditions Grasset. Il y affirmait que ce sont les corporations qui ont la plus
forte capacité de nuisance qui s’assurent l’essentiel des avantages. “Ce
sont toujours les mieux lotis qui font grève. Les gouvernements cherchent la
paix sociale à tout prix, ce qui revient à donner le plus d’avantages à ceux
qui sont les plus menaçants. C’est consternant car c’est encore la France du
toujours plus !” [2] Il
est évident que le même constat doit être fait dans notre Belgique francophone.
Ceux qui peuvent paralyser le pays ont un pouvoir démesuré, et ils ne se gênent
pas de s’en servir. Derrière la rhétorique et les banderoles, c’est toujours le
même langage et le même refrain : Toujours plus de privilèges, de droits
acquis, et toujours moins de service. Parmi les victimes – vous l’aviez déjà
remarqué – : les moins bien lotis de notre société : ceux et celles
qui dépendent du service public parce que leurs moyens ne leur permettent pas
de s’en affranchir.
Et s’ils n’obtiennent pas gain de cause ? Alors ils
sont prêts à casser le service public jusqu’à prétendre chasser ce gouvernement
(de droite ou de gauche, peu leur importe) incapable qui ose leur demander de …
travailler.
C’est la dictature des serviteurs. Et comme toutes les
dictatures – il y en a malheureusement d’autres dans notre société – elle conduira
notre monde dans l’abîme.
Mais bon, ne pleurons pas. Bientôt la trêve des confiseurs, pardon,
des footballeurs. La bière coulera à flots et l’unique cri qui ralliera les
foules sera : “Goal !” Du pain et des jeux. Qui pourra s’en plaindre ?
A tout hasard : Y a-t-il un autre modèle ? Si à
droite comme à gauche prévaut le modèle des banksters dictateurs, peut-on encore
espérer ? Et si seul le Christ donnait un modèle alternatif viable ? Serait-ce
la raison qu’il est haï et méprisé encore plus que tout autre ? Le vieux
cri hurlé devant Pilate est toujours d’une modernité époustouflante : “Nous
ne voulons pas que celui-ci règne sur nous !” Et au Christ de répondre :
“Si tu connaissais, toi aussi, en ce jour, ce qui te donnerait la paix !
Mais maintenant c’est caché à tes yeux.”
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