Le parlement belge est en train de
délibérer sur une éventuelle dépénalisation de l’avortement ou, si cela n’est
pas encore possible, d’en augmenter le délai de 12 semaines à 18 semaines (ou
plus), et de ramener le délai de réflexion de 6 jours à 48 heures. L’idée est
de s’approcher davantage de la pratique dans les pays limitrophes. Pour rappel,
la loi autorisant l’avortement date d’avril 1990 et elle a été modifiée en
2018, lorsqu’on a voté une dépénalisation partielle.
Puisqu’il s’agit d’une question d’éthique,
on devrait pouvoir voter en son âme et conscience. Il faudrait profiter de l’absence
d’un gouvernement et former une majorité progressiste autour de ce dossier.
La vraie question éthique a été tranchée en
1990. On se rappelle le refus du roi Baudouin de signer cette loi. Pourquoi
était-ce la vraie question éthique ? Parce qu’on a enlevé à l’être humain
en gestation sa protection juridique absolue. Avant, un avortement était
considéré comme un meurtre : il tue un être humain. A partir de là, l’embryon
ou le fœtus est devenu un amas de cellules dans le ventre de la maman. Il
appartient à la femme, et à elle seule, de décider de ce qu’elle fait avec son
corps, elle est “baas in eigen buik”, chef de son propre ventre.
Aujourd’hui, on invoque l’argument de la
viabilité. Avant 18 semaines, l’enfant à naître n’est pas viable. Or, la
viabilité est un concept flou. Par exemple, un astronaute qui sort de la
station spatiale n’a aucune viabilité, à moins de porter un scaphandre
encombrant. La station spatiale est comme un utérus dans lequel l’être humain
est apte à vivre. Mais s’il sort sans sa couveuse de scaphandre, il n’a aucune
viabilité. Il en est ainsi de l’embryon ou du fœtus. Hors de l’utérus
protecteur, il n’est pas viable. Faut-il donc dire qu’on est une personne à
partir du moment où l’on est viable ? Non, car la “viabilité” est toujours
fonction de l’environnement, de la technologie à votre disposition et de votre
capacité à en user efficacement. En plus, le concept de la viabilité nie une
évidence : l’embryon ou le fœtus est en vie. Il n’est pas apte à vivre car
il vit déjà. Il est déjà un être humain distinct de sa mère. Son capital
génétique est fixé dès la conception et est très différent du capital génétique
de sa mère. Il n’a pas nécessairement le même groupe sanguin. Son cœur ne bat
pas au rythme de celui de sa mère, et il se met à battre dès la sixième semaine
depuis la conception. Il est quelqu’un, et non quelque chose. Dans son environnement
protégée il est parfaitement viable, tout comme l’astronaute dans son
scaphandre.
Autrement dit, un avortement tue toujours
quelqu’un. La vraie question éthique s’est donc posée en 1990. En légalisant l’avortement,
on a décidé que jusqu’à un moment précis – ou flou – cet être humain n’est plus
qu’un amas de cellule, une tumeur, une chose, selon le vocabulaire de la personne
à qui vous parlez. Avec un tel raisonnement on débranchera donc quiconque tombe dans
le coma ? S’il ne peut “vivre” que grâce à une machine, il n’est plus viable et,
sur la base d’un raisonnement identique, on pourrait le supprimer ?
A quel moment, un être humain devient-il
une personne ? Soyons plus précis. S’il n’est pas une personne à 12
semaines, le sera-t-il à 18 ? A 24 ? A terme ? A cette question,
la réponse sera toujours mauvaise. Qu’est-ce qui constitue une personne ?
Notre identité propre, liée à notre ADN, et la vie. Le corps ? Mais dès la
fécondation, le corps commence. Après, il n’y a que croissance. Il n’y aura pas
de déclic miraculeux ultérieur qui va faire démarrer la constitution de cette
nouvelle personne. Ce qui veut dire qu’avorter à 12, à 18 ou à 24 semaines n’y
change plus rien. On tue une personne.
La pression pour avorter plus tard n’aboutira jamais à
une décision éthique. Cette décision avait déjà été prise. Désormais, il n’y a
plus que de la politique. Aujourd’hui on propose 18 semaines, l’année prochaine
peut-être 22 semaines et enfin, plus tard, neuf mois.
Car on voudra repousser les limites toujours plus.
Et après l’avortement jusqu’au neuvième mois, on proposera
l’infanticide. Impossible ? Non, cela a déjà été proposé. D’abord par Francis
Crick, qui a découvert la double hélice de l’ADN avec Watson, et qui avait dit
en son temps qu’un enfant ne devrait pas être considéré “humain” jusqu’à trois
jours après la naissance. (1) Plus récemment, un juge canadien, afin de justifier l’acquittement d’une femme
accusée d’avoir étranglé son bébé nouveau-né et de l’avoir jeté par-dessus une
clôture, dit : “nous devrions avoir de la sympathie pour les demandes lourdes
de la grossesse et de la naissance” et, comme l’exprime l’éthicien Peter Singer
de Princeton, “il n’y a pas de distinction exacte entre le fœtus et le
nouveau-né” (2).
On a déjà parlé d’avortement post-naissance. Deux professionnels de
l’éthique expliquent dans un article (“Avortement post-naissance :
pourquoi le bébé devrait-il vivre ?”) qu’il n’y a pas de différence
logique entre l’avortement d’un bébé avant la naissance et le meurtre d’un
nouveau-né. Sauf qu’ils n’appellent pas cela un meurtre parce qu’ils ne croient
pas que des nouveau-nés soient vraiment des personnes. (3) Les deux “éthiciens” raisonnent que des fœtus et des
nouveau-nés devraient bénéficier de la même absence de protection. Selon
eux, “être seulement humain n’est pas en soi une raison pour attribuer à
quelqu’un un droit de vivre”. Seule “une vraie personne” possède un “droit de
vivre”.
Le moment où nous nous permettons de
devenir les arbitres de la question qui est humain et qui ne l’est pas, nous
arrivons à la fin calamiteuse et inévitable. Une fois que l’on dit que la vie
humaine n’est pas sacrée, le reste n’a plus d’importance.
Peu à peu, la politique rétrécit les
frontières de la vie. Une fois que l’on a mis son pied dans l’embrasure de la
porte de la vie, celle-ci sera forcée à s’ouvrir toujours plus. En retirant le
droit à la vie à une partie croissante de l’humanité, on révèle la faillite de
sa propre humanité. L’aboutissement de ce processus devrait nous inquiéter.
Quand notre humanité dépend de la décision politique d’autres, l’implosion de
la société approche à grands pas. Quand on dévore ses propres enfants, qui
pourra encore dormir tranquille ? Qui sera le prochain à être déshumanisé ?
[1] Blocher, Mark. 1992. Vital Signs, p. 91. Chicago: Moody
Press.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire