Le culte de la Liberté

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jeudi 3 mars 2022

Lettre ouverte au président Poutine

 Le 3 mars 2022


Monsieur le Président,

Vous avez pris la peine d’expliquer les motivations de votre « opération militaire spéciale ». Le moins que l’on puisse faire est de vous écouter ou de vous lire [1] attentivement. J’ai donc fait cela sans malveillance.

Ma démarche ne provient pas d’une prétention outrancière. Nous, occidentaux, sortons de deux années de manipulation intensive au sujet du Covid et des mesures imposées à nos populations, la plupart du temps sans aucune justification scientifique et sans aucune cohérence. Nous avons donc dû apprendre à écouter et à lire nos media autrement, en développant notre sens critique. Je pense que ce sens critique est un des rares résultats positifs de cette période sombre qui ne s’en finit toujours pas. Il était donc assez naturel de vous lire de la même façon, tout comme il est devenu assez naturel d’appliquer une bonne dose de scepticisme à ce que nos politiciens nous racontent sur le conflit actuel.

Vous commencez à vous expliquer sur la pression exercée par l’OTAN qui rapproche ses infrastructures militaires du territoire russe. Il suffit de comparer les cartes d’il y a 20 ou 30 ans avec les mêmes cartes d’aujourd’hui pour se rendre compte que cela n’est pas vraiment imaginaire et je peux comprendre que la politique de l’OTAN vous paraît dédaigneuse et indifférente à vos préoccupations. Vous parlez, et je vous cite, d’un état d’euphorie né de leur supériorité absolue, une sorte d’absolutisme moderne, qui plus est, sur fond de faible niveau de culture générale et d’arrogance de ceux qui ont préparé, adopté et fait passer les décisions qui n’étaient profitables que pour eux-mêmes. Je peux comprendre cette remarque et entendre la frustration qui s’exprime en arrière-plan. Je pense que nous sommes nombreux à discerner un certain « deux poids, deux mesures » qui permet aux Etats-Unis, avec ou sans leurs alliés, de se comporter avec une énorme indifférence envers certains pays. Vous citez à raison le cas des soi-disant armes de destruction massive en Irak. Comme vous, je ne peux que constater la poussée du terrorisme qui a suivi l’action américaine comme son ombre.

Vous citez la promesse de ne pas étendre l’OTAN en direction des frontières de la Russie. Cette promesse n’a pas été tenue. Vous faites donc bien de le souligner. Ne pas avoir la saisi l’occasion de l’effondrement de l’URSS pour imaginer une autre Europe et un autre monde est une autre chose où l’Ouest porte évidemment une large part de responsabilité. Vous avez dit : « Ils ne considèrent pas qu’il est nécessaire de parvenir à un accord avec la Russie sur cette question essentielle pour nous, ils poursuivent leurs propres objectifs et ne tiennent aucun compte de nos intérêts. » Vous avez encore raison et je comprends que cela vous frappe comme de l’arrogance. [2]

Comme vous, nous sommes un certain nombre à regretter l’effondrement moral et éthique de l’Occident en particulier. Vouloir exporter « les valeurs de l’Europe » et, au besoin, les imposer avec sanctions à la clé vis-à-vis des pays européens d’abord, d’autres ensuite, n’est pas à l’honneur de l’Union européenne, j’en conviens pleinement. Le fait que l’Occident ait rejeté son héritage spirituel chrétien n’y est bien sûr pas étranger.

Ainsi j’en arrive à cette partie de votre discours qui m’a posé quelques problèmes.

Ma surprise a commencé avec le paragraphe sur la deuxième Guerre Mondiale. Vous dites que l’URSS avait fait de son mieux pour retarder la guerre. Vous ne pensez pas que vous passez un peu facilement sur cette période noire de notre histoire et sur le rôle de Joseph Staline ? Son accord avec Hitler sur le dos de la Pologne ne peut guère être traité de façon aussi légère ! S’il est indiscutable que votre pays a joué un rôle déterminant dans le déroulement de la guerre et qu’il a eu à supporter une souffrance terrible, on ne peut pas pour autant gommer le fait que Staline fut un dictateur largement égal à Hitler. Il est vrai que vous admettez que « les mesures qui ont finalement été prises étaient désastreusement tardives », phrase en laquelle je crois entendre un début de critique envers ce passé dramatique de votre pays.

Parlant de l’histoire, vous avez évoqué la crise Tchétchène : « … quelles épreuves nous avons dû traverser avant de pouvoir enfin définitivement briser les reins du terrorisme international dans le Caucase. » Le problème que cela me pose – sans vouloir vous fâcher – c’est qu’il n’a jamais été prouvé que les attentats dans diverses villes russes qui ont conduit à votre intervention militaire aient effectivement été le fait des Tchétchènes. Et si cela n’était pas le cas ? J’aurai à y revenir.

J’en viens à la partie de votre discours qui concerne les événements récents. Vous accusez l’OTAN de soutenir les ultra-nationalistes et les néonazis en Ukraine. Si je vous comprends bien, vous parlez notamment de ce qui s’est passé au Donbass et en Crimée. Selon ce que j’ai pu lire ailleurs, il s’agit d’un groupe extrémiste pronazi. S’il en est bien ainsi, ne vous était-il pas possible de les encercler et de les traduire en justice dans un procès public, au lieu de mettre le feu à tout l’Ukraine ? Je pense que vous auriez obtenu un meilleur résultat que maintenant avec nettement moins de dommages pour la Russie et pour sa place dans le monde. Comme on dit par ici, vous vous êtes servi d’un bazooka pour tuer une mouche…

La partie de votre discours qui me pose le plus de questions touche à ce que vous dites sur le respect d’autres États. « Nous respectons et continuerons à respecter leur souveraineté », dites-vous et vous citez l’exemple de l’aide que vous avez apportée au Kazakhstan, « qui a été confronté à des événements tragiques et à des défis pour son statut d’État et son intégrité. » Vu d’ici, cette aide semble avoir davantage été apportée au président à vie du Kazakhstan qu’au pays et à sa population. Je peux avoir tort, mais les apparences vont en ce sens. Vous dites aussi que ce respect de l’intégrité de l’État vous a porté à attaquer la Tchétchénie. Mais si un peuple devait vouloir, massivement, quitter un état ? Doit-on l’écraser pour que cette envie lui passe ? Vous l’avez compris, j’arrive au conflit actuel en Ukraine.

Parlant de votre opération militaire spéciale, vous dites : « Son but est de protéger les personnes qui ont été soumises à des abus, à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans. Et à cette fin, nous chercherons à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine, à traduire en justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie.

Dans le même temps, nos plans n’incluent pas l’occupation de territoires ukrainiens. Nous n’avons pas l’intention d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit par la force. »

Il me semble que vous dites deux choses très différentes, voire opposées. Vous voulez par la force effectuer un changement radical à Kiev, mais, en même temps, vous ne voulez pas imposer quoi que ce soit par la force ! Dans le paragraphe suivant, vous mentionnez le droit des nations à l’autodétermination (selon la Charte des Nations Unies). Or, il semble plus que clair que le peuple ukrainien n’a aucun désir de devenir russe. Mais vous préférez l’écraser d’abord et lui poser les questions ensuite. J’essaie de vous comprendre mais ce n’est pas simple.

Vous dites cette belle phrase : « Permettez-moi de vous rappeler que ni lors de la fondation de l’URSS, ni après la Seconde Guerre mondiale, personne n’a jamais demandé aux habitants des territoires qui constituent l’actuelle Ukraine la manière dont ils voulaient organiser leur vie. Notre politique est fondée sur la liberté, la liberté de choix pour chacun de déterminer son propre avenir et celui de ses enfants. Et nous pensons qu’il est important que tous les peuples vivant sur le territoire de l’Ukraine actuelle, tous ceux qui le souhaitent, puissent exercer ce droit – le droit de choisir. » Au fait, le même droit existe-t-il pour les peuples qui constituent l’actuelle Fédération russe ? Vous voyez, je peux comprendre que le Donbass et la Crimée aient une préférence largement majoritaire pour intégrer la Russie. En soi, où est le problème ? Un référendum peut déterminer cela, au même titre que cela aurait pu et dû être le cas en Tchétchénie. Je veux dire qu’un tel droit vaut pour bien d’autres peuples que celui seul du Donbass.

Le passage le plus problématique dans votre discours est bien celui-ci où vous parlez de l’objectif de votre opération militaire et que je veux citer de nouveau : « Son but est de protéger les personnes qui ont été soumises à des abus, à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans. Et à cette fin, nous chercherons à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine, à traduire en justice ceux qui ont commis de nombreux crimes sanglants contre des civils, y compris des citoyens de la Fédération de Russie. »

Cela appelle à plusieurs remarques et questions. Quelles personnes fallait-il protéger en dehors du Donbass qui a déjà été mentionné ? S’il y a eu un génocide – les mots sont à la fois durs et précis – comment se fait-il qu’on n’en sait rien ? Depuis quand appartient-il à un État quelconque de démilitariser – et donc de conquérir – un autre État indépendant ? Où se situerait la nazification éventuelle du régime de Kiev ? Quant aux crimes sanglants – au Donbass – il y a aussi eu des crimes commis par les séparatistes pro-russes. Un rapport d’Amnesty International et de Human Rights Watch mentionne clairement les crimes des deux côtés. Oui, il faudrait traduire en justice les responsables, mais des deux camps, non ?

Parlant notamment du régiment Azov, Adrien Nonjon, spécialiste de l’extrême droite en Ukraine, remarque : « Une partie d'entre eux, notamment le bataillon Azov, a été intégrée à la garde nationale ukrainienne, l'équivalent de la gendarmerie française. Mais progressivement, la majorité s'est normalisée et les extrémistes sont aujourd'hui minoritaires. Surtout, ils n'ont pas réussi à obtenir de résultats politiques. Lors des dernières élections présidentielles en 2019, la coalition néonazie a fait moins d’1% des voix ». Est-ce là une raison suffisante de mettre tout un pays à feu et à sang ?

Vous dites : « Les événements d’aujourd’hui ne visent pas à porter atteinte aux intérêts de l’Ukraine et du peuple ukrainien. Il s’agit de protéger la Russie elle-même contre ceux qui ont pris l’Ukraine en otage et tentent de l’utiliser contre notre pays et son peuple. » Mais que sont les intérêts de l’Ukraine ? Être détruit jour après jour ? Une élection régulière a résulté dans le gouvernement actuel. Est-ce là vraiment une prise en otage du pays et du peuple ukrainien ?

Votre souci fondamental, à savoir l’extension de l’OTAN en direction de la Russie, est compréhensible et la façon dont l’OTAN a brisé sa parole donnée est une faute. Mais en menant aujourd’hui vis-à-vis de l’Ukraine une guerre totale, n’aurez-vous pas pour conséquence que tout pays qui désire sortir de la Fédération russe – et vous avez dit que c’est là un droit que vous reconnaissez – va justement au plus vite vouloir intégrer l’OTAN ? Votre opération sera donc contreproductive.

Monsieur le Président, vous avez pris la peine d’expliquer votre action au moment même où vous l’avez commencée. Où cela finira, qui pourra le dire ? L’OTAN a été perfide avec la Russie ? La Russie a décidé de payer cash. Sommes-nous donc partis pour un engrenage fatidique et terrifiant ? N’y a-t-il pas une autre possibilité ? J’ai été déçu et triste que les églises orthodoxes de la Russie et de l’Ukraine n’aient pas laissé entendre un autre son de cloche. Pour qui veut suivre le Christ il est clair que l’option des armes ne peut pas créer la paix. N’est-il pas grand temps d’écouter ou de réécouter le Christ ? Deux peuples frères se battent tout en étant liés par la même foi, tout en fréquentant les mêmes églises et cathédrales. Là où devaient régner le respect mutuel règnent maintenant la haine et la vengeance. Monsieur le Président, j’habite un monde occidental qui a tourné le dos à Dieu. Le résultat en est une société de plus en plus débridée qui progresse fièrement vers la fin de son monde. Vous avez clairement exprimé votre condamnation de ces choses dans votre discours. Pourtant, permettez-moi de le dire, vous n’agissez pas autrement.

Et si le président de la sainte Russie devait se mettre à réfléchir, ne pourrait-il pas montrer une autre voie ? C’est le souhait que, simple pasteur chrétien retraité, je formule.

Cette lettre est un peu comme une bouteille à la mer. Je ne sais pas si jamais elle vous parviendra. Mais cela ne m’empêchera pas de prier pour vous.

 



[1] « Allocution de Vladimir Poutine expliquant pourquoi la Russie commence en Ukraine », par Vladimir Poutine, Réseau  Voltaire, 24 février 2022, www.voltairenet.org/article215836.html.

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